23 mai 2012

Schizophrenic-City

Si la ville que nous désirons vraiment était instable, menaçante, irrationnelle ou abandonnée?

Les acteurs de la ville, urbanistes et architectes en tête sont pour la plupart atteints d'une certaine schizophrénie entre la ville qu'ils font et celle qu'ils aiment. D'un coté la ville fonctionnelle qui répond efficacement à ce qu'on attend d'elle en proposant un cadre esthétique, économique et écologique satisfaisant. C'est l'idéal pour lequel travaillent tous ces professionnels à coup d'éco-quartier, de programmes mixtes et de circulations douces... Mais l'imaginaire de la ville qui habite chacun de nous, celui qui crée l'émotion urbaine est fait de tout autre chose. C'est une ville chimérique aux multiples visages tantôt irrationelle, menaçante et dominant ses habitants, tantôt abandonnée, déserte et reconquise par les éléments...

perdu dans l'imaginaire urbain... Petit quizz...?  

La ville est un acteur omniprésent au cinéma, dans la pub, les jeux vidéos, la littérature, la BD... bref nous vivons dedans (certains habitent quand même encore dans cette partie du territoire que l'on trouve entre chaque ville, "la campagne") Mais le portrait de la ville qui nous est fait via tous ces médias ne correspond pas vraiment à certaines affiches de promoteurs, non?

Ils ont l'air gentil vos futur voisins... puis c'est vert, c'est bien, c'est beau...

Ce modèle urbain vante les vertus d'une ville paisible faite de petits collectifs ou de pavillons individuels le tout cerné de végétation bien entretenue. Cette ville mignonne où ne vivent que des gens bien élevés, beaux et souriants, semble être à l'image du désir d'habiter partagé par le plus grand nombre. Cet "urban way of life" régit par le loisir dominical, la sortie en voiture au centre commercial, la fête des voisins et la sortie du chien semble faire état d'une réussite matérielle créant un sentiment de bonheur... du moins on l'espère pour eux. Voir "le nouveau bonheur français"de Hacène Belmessous.  

Ces séduisantes affiches de propagande urbaine qui fleurissent le long des routes annonçant l'arrivée de cette jolie ville vont pourtant à contre sens de l'imaginaire urbain du public visé. Il y a bien "Desperate Housewives" qui fait l'éloge de ce modèle mais la grande majorité de l'imaginaire urbain de la culture mainstream et fait de villes tentaculaires, dangereuses et ultra-modernes (Blade Runner, Metropolis, Coruscant, Gotham City, etc...) On ne compte même plus le nombre de fois où New York a été détruite, inondée, envahie ou abandonnée, dernière en date "The Avengers" pour une facture estimée à 160 milliards.

La ville infernale, surhumaine, démesurée, délirante hante l'inconscient collectif

Les archis, urbanistes et scénaristes urbains en tous genres sont pris entre cette image qui habite l'imaginaire et ce que veulent les gens au final comme cadre de vie, tout le monde ne veut pas voir débarquer des hélicoptères au dessus de chez lui, ou se retrouver à l'ombre d'un downtown ultra-congestionné de tours reliées par des autoroutes suspendues recouvertes de pubs et d'écrans géants. 

Certains ont bien compris cela en proposant des agences aux deux visages, c'est le cas de Rem Koolhaas dont l'agence OMA s'est dédoublée il y a 10 ans pour créer AMO, un think tank qui n'a pas vocation à construire mais à questionner la manière dont nous faisons de l'architecture aujourd'hui. Le dédoublement de la conception architecturale revendiquée par Koolhaas à travers ses deux agences lui permet de jouer sur les deux tableaux de la Schizophrenic-City. À voir, cette excellente conférence sur les smart-building de Koolhaas où il présente sa vision de l'architecture et le dialogue qui se crée entre OMA et AMO ici. Big surfe également sur cette vague stimulante d'une architecture débridée, libérée de ses codes trop conventionnels pour satisfaire l'imaginaire urbain contemporain. Plus souvent dans la prospective que dans le concret les projets de Big évoquent cette ville qui vient, peut être. Avant eux, ce sont Archigram, Superstudio, et d'autres (ici) qui ont plantés le décor de cette urbanité fantasmée. 

Saurons-nous réconcilier les deux pour faire de la ville une expérience singulière et enthousiasmante ? Ou devrons nous encore compter sur le cinema, la littérature, la BD et les jeux vidéo pour vivre par procuration cet "urban way of life" ? 

8 mai 2012

Franchisons l'infranchisable!

À force d'insister, les politiques, les forces de l'ordre et la bienséance commune vont finir par avoir raison de ces ordes d'indignés, de ces caravanes de Roumains, de ces SDF et de tous ces gens qui font l'originalité du paysage urbain. Dans la ville aseptisée, nettoyée de tous ses parasites sociaux, l'homo-urbanus se retrouve seul protagoniste d'une modernité qui l'ennuie profondément. Cette ville qui faisait rêver se retrouve être un cauchemar....

Maintenant que les bancs anti-sdf, que les plots anti-caravanes et que les caméras de surveillance quadrillent le moindre recoin, la ville est vidée de son sens, purgée de ces éléments qui rendaient autrefois l'expérience de la ville excitante. 

Pour remédier à cette situation, nous lançons une franchise urbaine d'un nouveau genre. Nous proposons les accessoires et les habits reprenant les codes d'une population urbaine en voie de disparition. Moyennant un prix de location journalier, vous aurez à disposition l'ensemble de la panoplie désirée pour jouer le rôle que vous désirez.

Un catalogue d'accessoires et de vêtements, couvrant un large choix de personnages, du SDF au roumain en passant par le punk à chien. Grâce à cette nouvelle collection, vous aussi participez à la reconstitution du paysage urbain d'autrefois. Au delà du prix de location le bénéfice est pour vous!!! 


4 mai 2012

Urbanistes méconnus, le clash ! (partie 2/3) : RockStar Games



Chez Rockstar Games, on prend délibéremment le contre-pied de l'encadrement quasi liberticide caché par l'apparente bienveillance de Mickey pour proposer un modèle urbain clair simple et transparent : un seul mot d'ordre, la liberté; une seule monnaie d'échange, le fuck remplace le dollar.


Libertaire, c'est ainsi que l'on pourrait nommer le modèle urbain proposé au cours des différents opus de la série Grand Theft Auto. Prônant une liberté absolue et rejettant toute autorité, le citadin libertaire parcours la ville à pieds, en voiture volée, ne respecte pas le code de la route, participe aux guerillas urbaines et fait transiter des armes par sa planque au fond d'une impasse coupe-gorge.

Il connaît toute les prostituées de la ville et magouille avec leur mac, il n'hésite pas à trahir son chef de gang mais, tel un pirate, en assume les conséquences (des quartiers entiers de la ville qu'il lui faut désormais traverser au péril de sa vie).

Anarchiste, le citadin libertaire de GTA ne respecte aucune forme d'autorité morale. Aucune forme d'autorité n'arrive d'ailleurs à se faire respecter dans la ville libertaire. A Liberty City, un décret anti-mendicité déclencherait immédiatement une guerre civile de clochards puants armés jusqu'au cou.  Quand aux réseaux de drogues, contrefaçons et autres traites des blanches, le maire n'aurait sans doute aucun intérêt à les voir être dévoilés au grand jour. En fait, l'autorité n'existe pas. Le libéralisme à son paroxysme.

L'urbanisme GTA est façonné par la guerre. La guerre des gangs, ou même, plus souvent, celle de chacun contre tous. Aucun schéma, aucune théorie ne peut résumer cet urbanisme. 


A l'image du comportement des citoyens de la ville, la liberté de mouvement et d'action est la seule régulatrice des mutations urbaines. Et le facteur socio-économique, bien que visuellement encore présent, ne constitue pas d'entrave à l'ascension mafiosa : pas de caisse ? voles-en une ! pas d'argent ? lance ton business ! pas d'armes ? associe-toi !

Cet urbanisme est indiscutablement lié à la voiture et aux armes. Mais surtout au capitalisme et à ses dérives néolibérales. Aucun Plan local d'urbanisme, aucun Master Plan ne semble avoir la capacité d'empêcher la privatisation des espaces par des gangs ou des familles puissantes.

Quel plaisir, quel excitation, quel sentiment exalté de liberté dans les mouvements et les actes que d'incarner les héros ordinaires de GTA ! Au fond, l'imaginaire que nous vend RockStar Games, c'est ce futur que nous sentons inéluctable, ce chaos que nous sentons approcher, celui qui nous fascine et nous révulse à la fois...

Ce désir inconscient de chaos propre à l'être urbain 
est très bien illustré dans le film Taxi Driver de Sorcese. 

Taxi Driver pourrait en quelque sorte constituer un prologue de la série GTA. Au volant de son taxi, Travis erre sans but dans une ville schizophrène où la campagne électorale détourne les yeux de la prostitution de mineures qui gangrène la ville. Traumatisé par le chaos de la guerre du Vietnam, Travis ne résiste pas longtemps à la pression de la société et le massacre final achève de faire basculer la ville dans un bain de sang et de violence...avant un "retour à la normale" quasi-divin en toute fin de film, illustrant cette incroyable schizophrénie urbaine qui menace à chaque instant de faire basculer la civilisation dans le brouillard, cette schizophrénie que chaque citadin peut percevoir et ressentir par moments.

Quand un parking est privatisé par une bande de gangsters, la virtualité du jeu vidéo rejoindrait-elle la réalité ? Quand le chaos urbain fait une brutale apparition, l'urbanisme GTA serait-il en train de se répandre sous nos yeux impuissants ? 

Pourtant, cette ville du chaos tant fantasmée voire désirée est une ville combattue et dénigrée par les autorités et les citoyens, lesquels lui préfèrent peut-être une violence plus vicieuse, moins perceptible et surtout plus "civilisée"... à la Disney