Si la ville que nous désirons vraiment était instable, menaçante, irrationnelle ou abandonnée?
Les acteurs de la ville, urbanistes et architectes en tête sont pour la plupart atteints d'une certaine schizophrénie entre la ville qu'ils font et celle qu'ils aiment. D'un coté la ville fonctionnelle qui répond efficacement à ce qu'on attend d'elle en proposant un cadre esthétique, économique et écologique satisfaisant. C'est l'idéal pour lequel travaillent tous ces professionnels à coup d'éco-quartier, de programmes mixtes et de circulations douces... Mais l'imaginaire de la ville qui habite chacun de nous, celui qui crée l'émotion urbaine est fait de tout autre chose. C'est une ville chimérique aux multiples visages tantôt irrationelle, menaçante et dominant ses habitants, tantôt abandonnée, déserte et reconquise par les éléments...
perdu dans l'imaginaire urbain... Petit quizz...?
La ville est un acteur omniprésent au cinéma, dans la pub, les jeux vidéos, la littérature, la BD... bref nous vivons dedans (certains habitent quand même encore dans cette partie du territoire que l'on trouve entre chaque ville, "la campagne") Mais le portrait de la ville qui nous est fait via tous ces médias ne correspond pas vraiment à certaines affiches de promoteurs, non?
Ils ont l'air gentil vos futur voisins... puis c'est vert, c'est bien, c'est beau...
Ce modèle urbain vante les vertus d'une ville paisible faite de petits collectifs ou de pavillons individuels le tout cerné de végétation bien entretenue. Cette ville mignonne où ne vivent que des gens bien élevés, beaux et souriants, semble être à l'image du désir d'habiter partagé par le plus grand nombre. Cet "urban way of life" régit par le loisir dominical, la sortie en voiture au centre commercial, la fête des voisins et la sortie du chien semble faire état d'une réussite matérielle créant un sentiment de bonheur... du moins on l'espère pour eux. Voir "le nouveau bonheur français"de Hacène Belmessous.
Ces séduisantes affiches de propagande urbaine qui fleurissent le long des routes annonçant l'arrivée de cette jolie ville vont pourtant à contre sens de l'imaginaire urbain du public visé. Il y a bien "Desperate Housewives" qui fait l'éloge de ce modèle mais la grande majorité de l'imaginaire urbain de la culture mainstream et fait de villes tentaculaires, dangereuses et ultra-modernes (Blade Runner, Metropolis, Coruscant, Gotham City, etc...) On ne compte même plus le nombre de fois où New York a été détruite, inondée, envahie ou abandonnée, dernière en date "The Avengers" pour une facture estimée à 160 milliards.
La ville infernale, surhumaine, démesurée, délirante hante l'inconscient collectif
Les archis, urbanistes et scénaristes urbains en tous genres sont pris entre cette image qui habite l'imaginaire et ce que veulent les gens au final comme cadre de vie, tout le monde ne veut pas voir débarquer des hélicoptères au dessus de chez lui, ou se retrouver à l'ombre d'un downtown ultra-congestionné de tours reliées par des autoroutes suspendues recouvertes de pubs et d'écrans géants.
Certains ont bien compris cela en proposant des agences aux deux visages, c'est le cas de Rem Koolhaas dont l'agence OMA s'est dédoublée il y a 10 ans pour créer AMO, un think tank qui n'a pas vocation à construire mais à questionner la manière dont nous faisons de l'architecture aujourd'hui. Le dédoublement de la conception architecturale revendiquée par Koolhaas à travers ses deux agences lui permet de jouer sur les deux tableaux de la Schizophrenic-City. À voir, cette excellente conférence sur les smart-building de Koolhaas où il présente sa vision de l'architecture et le dialogue qui se crée entre OMA et AMO ici. Big surfe également sur cette vague stimulante d'une architecture débridée, libérée de ses codes trop conventionnels pour satisfaire l'imaginaire urbain contemporain. Plus souvent dans la prospective que dans le concret les projets de Big évoquent cette ville qui vient, peut être. Avant eux, ce sont Archigram, Superstudio, et d'autres (ici) qui ont plantés le décor de cette urbanité fantasmée.
Saurons-nous réconcilier les deux pour faire de la ville une expérience singulière et enthousiasmante ? Ou devrons nous encore compter sur le cinema, la littérature, la BD et les jeux vidéo pour vivre par procuration cet "urban way of life" ?